jeudi 7 avril 2011

Une porte, tout doucement, s'est refermée

Ma grand-mère vient de faire son dernier voyage, celui dont on ne revient pas. À l'âge de 94 ans, notre belle Marie-Jeanne s'est tout paisiblement laissée aller au repos le plus mérité qui soit. Après une vie belle, laborieuse, éreintante, pétillante, remplie de besognes et d'enfants, de saisons qui passent, de proches qui partent et qui ne reviennent pas, de temps des sucres, de potagers luxuriants qui faisaient toute sa fierté, de naissances, de désespoir, de bon pain maison, d'émerveillement et de visiteurs du dimanche après-midi.

Elle était si particulière, ma grand-mère! Elle possédait une fougue de tous les diables doublée d'une foi à déplacer les montagnes. Avec elle, c'était noir-noir ou blanc-blanc, jamais de zone grise. Et quand elle aimait, c'était de tout son coeur, de tout son être, à s'en réveiller la nuit, et ce, pour toujours. Tout en émotion qu'elle était, ma grand-maman!

Notre Marie-Jeanne, elle ne mâchait pas ses mots. Son franc-parler légendaire, elle savait le manier d'une façon si déconcertante, à nous faire tous mourir de rire au moment où l'on s'en attendait le moins. Cette ferveur qui l'animait la faisait aussi nous embrasser, que dis-je, nous étreindre si vigoureusement qu'enfants, nous en perdions parfois le souffle et en étions même venus à redouter un peu ses décoiffantes effusions à la limite de la bousculade!

La spontanéité et l'entièreté étaient ses marques de commerce. N'était pas une girouette ni une cachottière, ma mère-grand, toujours fidèle à elle-même et à ceux qui l'aimaient, toujours priant pour sa ribambelle d'enfants et de petits-enfants et sa multitude d'arrière-petits-enfants. Il fallait qu'il soit grand, son coeur, pour en loger autant.

Enfant, c'était un privilège pour moi d'aller la visiter, d'aller me bercer avec elle dans le solarium, en lui tenant la main, pour ensuite aller sauter sur les lits avec mes cousines, en haut de la maison qu'elle a habité toute sa vie, depuis son mariage jusqu'à il y moins de deux ans. Adolescente, je feuilletais avec intérêt ses vieux albums photos remplis de souvenirs en noir et blanc.

Devenue adulte, je lui ai présenté avec empressement mon ventre arrondi. Elle m'a dit, ce jour-là, qu'elle me trouvait belle. Que, comme ma mère, je semblais bien porter les enfants. Ça m'avait fait tout chaud au coeur, un si beau compliment venant d'elle qui avait couvé puis élevé onze petiots. Onze!

C'est aussi avec la même hâte que je suis allée lui présenter son arrière-petite-fille, la vingt-deuxième je crois. En allaitant mon bébé dans la chaise berçante de ma grand-mère, j'ai écouté celle-ci me raconter qu'elle avait aussi nourri de son lait tous ses enfants. En me voyant procéder, elle se revoyait plusieurs décennies plus tôt avec ses propres mousses au sein. Un tel échange entre ma grand-mère et moi constitue -- et Dieu merci j'en étais alors consciente -- un moment privilégié, un cadeau intergénérationnel inattendu, inespéré et d'une valeur inestimable.

Il y a deux mois, par un beau dimanche après-midi, mon homme me proposa d'aller visiter Grand-maman pour lui présenter notre fils, alors âgé de deux mois. Ce jour-là, j'étais consumée de fatigue et je l'avoue, j'ai hésité un quart de seconde : la visite dominicale ou la sieste? Quelque chose me poussa toutefois à aller faire les grandes présentations.

Elle nous reçut à bras ouverts, Marie-Jeanne, dans la petite chambrette du foyer qu'elle occupait depuis à peine deux ans. Comme prévu, elle entra en pâmoison devant fiston, l'inonda de bisous, de câlins et de compliments, l'idolâtra, le cajola et quand il fut pour nous le temps de partir, nous supplia de le lui laisser, à la blague, pour néanmoins nous prouver à quel point son amour pour le si-petit dépassait l'entendement.

Avant de nous accueillir cet après-midi là, nous l'apprendrions plus tard, Grand-maman se sentait fatiguée, lasse, sans énergie. Or ce n'est pas du tout dans cet état que nous l'avions trouvée : quand elle avait de la visite, et surtout, quand on lui présentait un nouvel arrière-petit-enfant, fini les petites misères, c'est comme si Marie-Jeanne s'était abreuvée à la fontaine de Jouvence!

C'est cette image d'elle que je veux garder bien vivante à ma mémoire. Une photo mentale toute en couleurs d'une grand-maman transie d'amour pour sa descendance. Une grand-mère qui, si elle l'avait pu, aurait vécu deux cent ans de plus pour pouvoir continuer de prier pour nous, les nombreux amours de sa longue vie.

D'où qu'elle soit, Grand-maman veille au grain, ça, je n'en ai pas le moindre doute.

Repose en paix, maintenant, ma belle grand-maman. De te savoir entre bonnes mains apaise mon chagrin...

2 commentaires:

Grande-Dame a dit...

Tu as eu une grand-mère en or, fière, consciente, généreuse, aimante.

Elles sont particulièrement précieuses, celles-là.

Mes sympathies à toi et aux tiens.

La Mère Michèle a dit...

Tiens dans le même esprit de ton billet sur les rencontres, que j'ai commenté plus haut, je te laisse le lien de mon hommage à ma propre grand-mère, sur mon blog. En lisant le tien, je me suis tout à fait retrouvée.

http://unefamillenombreuseauquebec.blogspot.com/2009/05/je-taime.html