lundi 16 mai 2011

Maman à la maison, une vocation

J'ai eu la chance, enfant, d'avoir une maman à la maison. Pour elle, ça ne devait pas être rose bonbon tous les jours mais pour nous, ses rejetons, ce fut tout un privilège.

C'est probablement grâce au statut de mère au foyer de ma maman que je sais comment recoudre un bouton, repriser les chaussettes, plier décemment les draps contour, faire un bouillon de poulet qui se respecte et me servir d'un coupe-pâte (chose qu'on ne voit plus tellement dans les cuisines d'ailleurs, vous en avez un, vous?).

Pour ma maman, être à la maison n'était pas une punition. Nous étions quatre enfants alors elle avait amplement de quoi s'occuper du matin au soir. Elle vaquait à ses tâches en chantant, tout le temps, tant et si bien que j'avais cette impression qu'elle se réalisait pleinement dans ce rôle que j'en suis venue à idéaliser.

Jusqu'à ce que ce choix -- car contrairement à ma mère, pour l'époque dans laquelle je vis ma maternité, il s'agit bel et bien d'un choix -- s'impose à moi. J'ai longuement hésité, car j'avais beaucoup aimé mon premier congé de maternité. Être toujours disponible pour mon enfant, avoir un oeil sur tout ce qu'elle ingérait, m'assurer du sommeil dont elle bénéficiait.

Avoir du temps pour aller aux nombreux rendez-vous et cuisiner de bons plats santé, savoureux et variés. Chantonner tout en travaillant, flâner dans le fauteuil berçant après la tétée.

Mais un emploi dont je rêvais depuis longtemps m'était offert sur un plateau d'argent. Et j'ai décidé que ma fille n'aurait pas d'une maman comme celle que j'avais eu la chance d'avoir, toujours présente.

Je n'ai pas regretté mon choix, bien que je me sois rendue au travail en larmes pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que la nouvelle routine convienne à tout le monde.

Pendant mes journées de boulot, j'avais ces soudaines prises de conscience qui me donnaient de bizarres de sensations dans le ventre. Je ne sais pas ce que ma fille fait en ce moment. Quelqu'un, qui n'est ni son père, ni sa mère, est en charge de sa survie. Gloup!

Puis récemment, j'ai parlé de tout ça avec ma mère. Elle m'a aidé à relativiser sur sa propre situation de maman à la maison. Certains jours, ce n'était guère la fête et elle nous aurait bien vendus à rabais au marché. Les tâches ménagères si répétitives qu'elle effectuait en fredonnant doucement, elle les trouvait, elle aussi, bien aliénantes.

Quand j'entends ma fille me poser en boucle la même question, malgré que je lui serve chaque fois la même réponse, je me revois bombarder ma mère de mes babillages sans doute aussi assourdissants. Avec mes yeux d'enfant, je ne la voyais tout simplement pas soupirer d'ennui, ma maman. Tout comme ma puce n'a pas l'air de se rendre compte que j'ai souvent envie de trouver le bouton mute qui me permettrait deux ou trois minutes d'un silence salvateur.

Les mamans de la génération de la mienne, elles nous trouvent chanceuses de pouvoir choisir entre la carrière et la maison. Il m'arrive de me lamenter avec la conciliation travail/famille, mais diable, comme j'apprécie d'avoir au bout des cinquante semaines de maternité intensive, une alternative.

Mamans à la maison, en toute connaissance de cause, je vous admire et je vous comprends à la fois. Je vous envie, je vous plains parfois.

Je suis certaine d'une chose, vos enfants vous en seront éternellement reconnaissants. Je parle par expérience.

jeudi 12 mai 2011

De la place pour Petit Frère

J'ai toujours un petit pincement au coeur en envoyant Babou à la garderie, le matin. C'est que je suis en congé de maternité, donc disponible pour elle.

Elle n'y va pas chaque jour. En fait, je l'envoie en général 3 ou 4 fois par semaine. Parfois 5 aussi! Pourquoi?

Parce que je paye sa place de toute façon? Oui, il y a un peu de ça.

Parce que je veux qu'elle socialise? Qu'elle apprenne le partage, l'attente, la résolution de conflit ailleurs que sous mon aile? Oui, bien entendu.

Parce que je veux qu'elle apprenne par l'exemple de ses pairs? Certes, mille fois oui. Car c'est au contact de ses amis de garderie que Babou a appris (tout dernièrement) à boire au « verre de grande personne » et à remonter ses pantalons toute seule. J'applaudis cet encouragement à l'autonomie dont font preuve quotidiennement les éducateurs de ma puce.

Parce que je souhaite qu'elle se forge un système immunitaire béton? Bah, non. Je ne crois pas que ma fille doive attraper 12 rhumes et 6 gastro par année pour être pétante de santé plus tard. À mon avis, moins on est malade, moins on est malade. Et moins Babou est malade, moins le sommes-nous par ricochet!

En vérité, si Babou continue de fréquenter régulièrement son service de garde en milieu familial, c'est pour laisser un peu de place à Petit Frère.

À ma plus grande surprise, quand je suis seule avec mes deux oisillons, ma grande m'accapare davantage que mon poupon. Passé les premières semaines de vie de Petit Frère, durant lesquelles j'allaitais une heure sur deux et passais la moitié de mes jours et de mes nuits à le réconforter pendant ses coliques, c'est Babou qui a pris le plancher.

« Maman! Lire un beau livre! » « Encore une histoire, maman! » « Maman, jouer dehors avec mon râteau et ma pelle-toute-petite! Non! Pas rentrer tout de suite!» « Maman, regarder un beau passe-partout avec des amandes et un verre d'eau! » « Maman, j'ai envie de pipi! »
« Maman, je veux dessiner avec mes crayons de Tatie-Marraine! »

Tel est l'humble aperçu d'une demie journée dans la vie de Babou.

Petit Frère dans tout ça? C'est le bon diable qui flotte doucement dans le sillon du cyclone Babou. Le bon public qui entend à rire, les yeux écarquillés d'émerveillement devant les pirouettes et comptines de la petite coquine. La bonne pâte qui patiente pendant que l'autre fait courir maman à gauche et à droite. Toujours prêt à céder sa place pour les priorités numéro 1 de Madame Chose.

Quand même, je sais quand la remettre à sa place, ma petite grimace. Si je ne m'objectais jamais devant les mille et une commandes de Babou, mon fils passerait toujours bon dernier, le pauvre! C'est pourquoi je répète si souvent à ma fille « Chacun son tour, les amis! » ou encore « Pas tout de suite, maman est occupée! »

Pour toutes ces raisons, oui, j'envoie et j'enverrai encore Babou à la garderie pendant mon congé de maternité, ne serait-ce que pour que ce petit ait au moins la moitié de l'attention dont sa grande soeur a bénéficié depuis le jour béni de sa naissance.

Il le mérite bien, mon poussin.

lundi 9 mai 2011

Laissons-les donc nous surprendre!

Bien souvent, quand je leur en donne la chance, mes enfants me surprennent tellement!

C'est mon amie Geneviève qui me l'a fait réaliser, un peu avant que Babou fasse le grand saut vers son lit de grande fille.

J'étais enceinte de Petit Frère. Babou avait ses 18 mois bien avancés et je confiais à mon amie que je ne savais pas trop quand, ni comment faire changer et de chambre, et de lit à ma si petite grande fille.

« Fais-lui donc confiance, elle va t'impressionner, comme elle le fait tout le temps ».

Comme cette nuit de novembre 2009 où j'ai décidé de ne plus me lever trois fois par nuit pour allaiter ma puce de presque 9 mois. J'en avais assez fait, n'est-ce pas? « Fais ce que tu veux ma puce, moi, je dors!» Elle a pleuré 40 minutes. Dès le lendemain, elle a dormi 12 heures en ligne. Scénario qui se répéta jour après jour jusqu'à aujourd'hui, à quelques rares exceptions près.

Comme cette autre fois où, à 15 mois et 29 jours, Babou s'est levée debout au chalet de ses grand-parents et y a fait ses premiers pas. Solide, pleine d'assurance. Oui, elle a marché un peu plus tard que la plupart de ses petits amis, mais quand elle a été prête, c'était pour de bon et sans jamais trébucher.

Ce fut aussi le cas pour le transfert dans le lit/chambre de grande fille. Un beau dodo et de belles siestes dès le commencement. Elle sentait qu'il n'y avait pas d'autre issue, et surtout, elle était prête.

Depuis quatre jours, notre jolie coquine se balade en bobettes. Aucun dégât n'a été enregistré. En somme, il lui a fallu une première fin de semaine à apprendre à se retenir (et où j'ai épongé quelques échappées). Puis, une semaine d'adaptation couche/bobettes, avec visites sur le pot à la garderie. Puis du jour au lendemain, elle nous a clairement signifié - à temps - ses besoins.

M-E-R-V-E-I-L-L-E-U-X.

Quand, avec mes enfants, je redoute de franchir une étape, je repense toujours à mon amie Geneviève. À sa Filou qui n'a jamais rien voulu savoir des petites roues sur le vélo et qui, à 8 ans, est partie pour de bon avec sa petite bicyclette, sans rien ni personne pour l'aider. Elle avait pris le temps d'observer et de se sentir d'attaque avant de prendre le large.

Les observer, puis leur faire confiance. Sans pression aucune. Les laisser aller.

Avec mes petits, la recette fonctionne toujours.

Inspirant tout ça.

mercredi 20 avril 2011

De l'aide de l'au-delà

Depuis qu'elle nous a quittés, je lui ai parlé souvent, demandé de l'aide même, à ma grand-mère.

Je suis comme ça moi, je m'adresse à mes grands-parents décédés, à ces personnes sages qui, j'en suis convaincue, continuent de veiller sur ceux qu'ils ont aimé durant leur séjour terrestre. Je ne peux tout simplement pas m'imaginer que mes grand-mères et grand-pères finissent leur jour dans un cercueil et que rien d'autre ne les attend. Chacun ses convictions, ainsi sont les miennes. J'y trouve un réconfort qui m'est indispensable, et ce, surtout depuis que je suis maman.

Le jour des funérailles de grand-maman Marie-Jeanne, j'avais les nerfs en boule. Je devais préparer les bagages des enfants, les habiller, les coiffer, idem pour moi. Une poule pas de tête jonglant entre couches et fer plat.

L'Homme, de son côté, avait un peu plus tôt repassé sa chemise. Malgré les nombreux avertissements que je lui avais servi, comme chaque fois qu'il sort le fer et la planche à repasser, il avait laissé en plan ces deux objets, en ayant toutefois pris soin de fermer le fer à repasser.

Nous avons soudain entendu un hurlement, provenant de la chambre de Babou, où était justement installé le nécessaire à repassage. Aussitôt accourus dans la chambre, nous avons aperçu avec effroi le fer qui pendait au bout de son fil, la petite tout en cris et en larmes.

Je me suis imaginée le pire, ma fille brûlée vive ou pis encore, assommée par le fer brûlant.

Erreur. Elle pleurait seulement parce que l'eau du fer, qui avait fort heureusement eu le temps de refroidir, avait tout mouillé sa petite blouse. Pas une éraflure, pas une ecchymose, rien. Que du tissu mouillé.

C'est dans ces moments là que je me plais à penser qu'un ange - Grand-Maman peut-être? - veillait sur Babou à ce moment précis.

Plus tard, durant la cérémonie, le prêtre qui est aussi le neveu de ma grand-mère, nous a justement encouragé, nous, la grande famille endeuillée, à continuer de nous adresser à notre si chère disparue. Qu'elle nous entendrait, d'où qu'elle soit.

Elle veille sur nous, la Marie-Jeanne. Pas de doute.

mardi 19 avril 2011

Convertir les pertes en privilèges

Si on lui demandait quels sont les avantages actuels d'avoir un petit frère, Babou n'aurait pas grand chose à dire.

Avant même que j'accouche de mon merveilleux fils, une amie qui venait d'accueillir son deuxième enfant me racontait avoir lu quelque part que pour un aîné, l'arrivée d'un petit frère ou d'une petite soeur n'apporte que des pertes -- pour les premiers temps du moins.

Perte de l'exclusivité parentale, de jouets ou objets qui appartiennent désormais au bébé. Perte de toute l'attention que les visiteurs nous portaient depuis la naissance.

Nous avons pu l'observer avec notre petit sujet qui avait 20 mois et demi à l'arrivée de Petit Frère. Elle n'a pas trouvé drôle la première fois où on a installé notre nouveau-né dans SON porte-babou. Même histoire avec le siège vibrant, la balançoire, la sauteuse, le siège Bumbo, les biberons, la suce, les jouets de dentition et même les couches! Si elle avait pu, Babou aurait volontiers porté les formats 1-2 de Petit Frère pour bénéficier des mêmes privilèges que lui.

On apprend à gérer ces petits deuils, qui se traduisent en débordements de possessivité, en crises de jalousie, en grosses larmes sincères nées de la difficile notion de partage.

Puis Babou a eu deux ans. Dans ma tête, c'est l'âge où on accède peu à peu à l'enfance en laissant le petit bébé derrière soi. Je le vois bien que les jambes de ma poulette ont tellement allongé en quelques mois! Que ses petites rondeurs de bébé l'ont quittée presque partout, sauf dans les joues!

J'entends très bien ses phrases complètes qui me scient parfois les jambes, autant que j'applaudis ses initiatives de rangement de jouets, d'aide au moment de mettre la table et de réconfort de Petit Frère quand je suis occupée ailleurs pendant quelques secondes.

Elle grandit, ma toute belle, et ça me donne le goût de lui faire apprécier - et non plus craindre - cet inévitable phénomène.

Hier, Babou a, comme tous les matins depuis que je ne l'allaite plus, bu son biberon matinal dans son lit. Quand j'ai découvert qu'elle l'avait dévissé alors qu'il était encore bien plein, et que j'ai par la suite dû faire trois brassées de lavage pour venir à bout de ce dégât, j'ai décrété haut et fort : FINI le biberon!

J'avais toujours fait fi des recommandations d'enlever le biberon matinal à 12 mois. C'était le seul qu'elle buvait de toute façon, elle qui n'a jamais eu de suce ni de pouce à téter (allez me faire croire que ses dents seront désenlignées avec une tétine dans la bouche 5 minutes par jour...).

Ma fille aimait le rituel et nous, appréciions qu'elle relaxe en buvant son lait au lit pendant quelques minutes, dès son réveil. Et il n'y aurait pas eu de pire momentum que de le lui enlever au même moment que Petit Frère débarquait dans nos vies.

L'épisode d'hier fut la (les) goutte qui a fait déborder le vase. Je lui ai expliqué, alors qu'elle hurlait de désespoir en voyant son dernier biberon aboutir à demi-vide dans l'évier, qu'elle perdait effectivement son biberon. Mais que j'irais le jour même lui chercher un verre de GRANDE SOEUR à la pharmacie. Un truc de princesses, tout rose, la totale pour une fillette quoi!

Ses grands yeux se sont allumés. J'ai senti que la notion de privilège était maintenant à sa portée, et que nous devrions désormais user de cette stratégie pour l'aider à grandir.

Non pas que je veuille pousser ma toute-petite en bas du nid. Mais plutôt lui faire miroiter les avantages d'accéder à de nouvelles étapes.

Depuis une semaine, elle revient de la garderie en marchant près de moi et de la poussette où roupille Petit Frère. Elle adore courir, sauter dans les flaques d'eau, prendre le temps d'observer ses points de repère.

Prochain objectif, l'introduire doucement vers la propreté. Je soupçonne Babou d'être pleinement consciente de ses sphincters, mais de vouloir conserver encore précieusement les changements de couches, moments où elle bénéficie de toute notre attention.

Petit coeur, va. Lentement mais sûrement, je le sens, les pertes deviendront pour elle des privilèges. Simple question de perspective!

lundi 18 avril 2011

Ces rencontres qui marquent

J'ai toujours été fascinée par ces rencontres de gens avec qui la connexion se fait instantanément. Je vous ai même déjà raconté celle-ci, si chère à mon coeur.

Suis-je particulièrement choyée par la vie? Est-ce le fait d'habiter une ville d'une dimension permettant ce genre d'heureux événements? Je n'en sais rien.

Dimanche, fin d'après-midi, au parc du quartier. Nous arrivons avec nos deux poussettes et leurs occupants, l'Homme et moi, pour permettre à Babou de se dégourdir les jambes. Au même moment arrive une maman et sa jeune demoiselle.

Nos deux coccinelles se balancent côte-à-côte et j'entame la conversation. Je m'intéresse toujours sincèrement aux enfants des autres, il faut dire. Elle a deux ans, la choupette, et porte une partie du prénom de ma fille. En creusant, j'apprends qu'elle est née sept jours après Babou, la même année. Avec la même équipe de médecins qui m'a suivie à ma première grossesse.

La conversation continue. La petite A. qui se balance près de Babou a également un petit frère, qui a très failli porter une partie du prénom de mon fils. Et qui est né sept jours après lui, la même année.

Ce pattern familial similaire nous fait sourire, nous étonne même, toutes les deux. Au fil de la conversation, qui se poursuit avec enthousiasme, nous découvrons habiter le même quartier pour les mêmes raisons : commerces de proximité, jolis parcs, circuits de poussette multiples et agréables.

Toutes les deux, nous le découvrons en discutant, avons vécu des accouchements naturels heureux et sans histoire et vivons toujours de beaux allaitements. Qu'il est bon de converser quand les valeurs sont sensiblement les mêmes! Qu'il est rafraîchissant de se sentir comprise sans avoir eu le temps de terminer une phrase!

Comme si ce n'était pas encore assez, la maman de A. a découvert en nous parlant qu'elle travaille exactement dans le même domaine que mon Homme, les terrains contaminés. Et qu'elle fait régulièrement affaire avec ses collègues. Décidément, nos routes se croisent à de multiples reprises.

Cependant, nous apprenons aussi que cette gentille petite famille changera très bientôt de quartier. Ça nous désole un peu, nous y voyions réciproquement un fort potentiel de voisinage familial. Qui n'est certes pas exclu, seulement un peu moins à portée de main.

L'avenir saura nous dire si nos chemins se croiseront à nouveau!

jeudi 7 avril 2011

Une porte, tout doucement, s'est refermée

Ma grand-mère vient de faire son dernier voyage, celui dont on ne revient pas. À l'âge de 94 ans, notre belle Marie-Jeanne s'est tout paisiblement laissée aller au repos le plus mérité qui soit. Après une vie belle, laborieuse, éreintante, pétillante, remplie de besognes et d'enfants, de saisons qui passent, de proches qui partent et qui ne reviennent pas, de temps des sucres, de potagers luxuriants qui faisaient toute sa fierté, de naissances, de désespoir, de bon pain maison, d'émerveillement et de visiteurs du dimanche après-midi.

Elle était si particulière, ma grand-mère! Elle possédait une fougue de tous les diables doublée d'une foi à déplacer les montagnes. Avec elle, c'était noir-noir ou blanc-blanc, jamais de zone grise. Et quand elle aimait, c'était de tout son coeur, de tout son être, à s'en réveiller la nuit, et ce, pour toujours. Tout en émotion qu'elle était, ma grand-maman!

Notre Marie-Jeanne, elle ne mâchait pas ses mots. Son franc-parler légendaire, elle savait le manier d'une façon si déconcertante, à nous faire tous mourir de rire au moment où l'on s'en attendait le moins. Cette ferveur qui l'animait la faisait aussi nous embrasser, que dis-je, nous étreindre si vigoureusement qu'enfants, nous en perdions parfois le souffle et en étions même venus à redouter un peu ses décoiffantes effusions à la limite de la bousculade!

La spontanéité et l'entièreté étaient ses marques de commerce. N'était pas une girouette ni une cachottière, ma mère-grand, toujours fidèle à elle-même et à ceux qui l'aimaient, toujours priant pour sa ribambelle d'enfants et de petits-enfants et sa multitude d'arrière-petits-enfants. Il fallait qu'il soit grand, son coeur, pour en loger autant.

Enfant, c'était un privilège pour moi d'aller la visiter, d'aller me bercer avec elle dans le solarium, en lui tenant la main, pour ensuite aller sauter sur les lits avec mes cousines, en haut de la maison qu'elle a habité toute sa vie, depuis son mariage jusqu'à il y moins de deux ans. Adolescente, je feuilletais avec intérêt ses vieux albums photos remplis de souvenirs en noir et blanc.

Devenue adulte, je lui ai présenté avec empressement mon ventre arrondi. Elle m'a dit, ce jour-là, qu'elle me trouvait belle. Que, comme ma mère, je semblais bien porter les enfants. Ça m'avait fait tout chaud au coeur, un si beau compliment venant d'elle qui avait couvé puis élevé onze petiots. Onze!

C'est aussi avec la même hâte que je suis allée lui présenter son arrière-petite-fille, la vingt-deuxième je crois. En allaitant mon bébé dans la chaise berçante de ma grand-mère, j'ai écouté celle-ci me raconter qu'elle avait aussi nourri de son lait tous ses enfants. En me voyant procéder, elle se revoyait plusieurs décennies plus tôt avec ses propres mousses au sein. Un tel échange entre ma grand-mère et moi constitue -- et Dieu merci j'en étais alors consciente -- un moment privilégié, un cadeau intergénérationnel inattendu, inespéré et d'une valeur inestimable.

Il y a deux mois, par un beau dimanche après-midi, mon homme me proposa d'aller visiter Grand-maman pour lui présenter notre fils, alors âgé de deux mois. Ce jour-là, j'étais consumée de fatigue et je l'avoue, j'ai hésité un quart de seconde : la visite dominicale ou la sieste? Quelque chose me poussa toutefois à aller faire les grandes présentations.

Elle nous reçut à bras ouverts, Marie-Jeanne, dans la petite chambrette du foyer qu'elle occupait depuis à peine deux ans. Comme prévu, elle entra en pâmoison devant fiston, l'inonda de bisous, de câlins et de compliments, l'idolâtra, le cajola et quand il fut pour nous le temps de partir, nous supplia de le lui laisser, à la blague, pour néanmoins nous prouver à quel point son amour pour le si-petit dépassait l'entendement.

Avant de nous accueillir cet après-midi là, nous l'apprendrions plus tard, Grand-maman se sentait fatiguée, lasse, sans énergie. Or ce n'est pas du tout dans cet état que nous l'avions trouvée : quand elle avait de la visite, et surtout, quand on lui présentait un nouvel arrière-petit-enfant, fini les petites misères, c'est comme si Marie-Jeanne s'était abreuvée à la fontaine de Jouvence!

C'est cette image d'elle que je veux garder bien vivante à ma mémoire. Une photo mentale toute en couleurs d'une grand-maman transie d'amour pour sa descendance. Une grand-mère qui, si elle l'avait pu, aurait vécu deux cent ans de plus pour pouvoir continuer de prier pour nous, les nombreux amours de sa longue vie.

D'où qu'elle soit, Grand-maman veille au grain, ça, je n'en ai pas le moindre doute.

Repose en paix, maintenant, ma belle grand-maman. De te savoir entre bonnes mains apaise mon chagrin...