lundi 3 mars 2008

Chasser le naturel

Ma grande amie Annick est Madelinienne. Ses grands-parents, ses arrières grands-parents et les parents de ceux-ci sont nés dans ce minuscule et ravissant archipel au large de l’Île-du-Prince-Édouard. Son père et sa mère y demeurent encore. Annick, elle, habite Montréal depuis peu.

Bien qu’elle ne souhaite pas retourner habiter dans les îles qui l’ont vue naître, Annick se définit et se distingue clairement par ses origines. Autant par ses expressions si typiques, ses conserves maison de crabe et de palourdes que par ce besoin vital de retourner par chez elle au minimum une fois l’an. La mer, le vent, le sable, les falaises, les grandes vagues, tout ça, c’est Annick.

Mon père est né là où l’Estrie prend fin pour laisser place à la Beauce. Lui enlever ses montagnes, les digues de roches qui séparent les champs, les couleurs des érablières à la fin septembre et les sentiers qui traversent son village lui ferait probablement plus mal que si on l’amputait d’une jambe.

Pour l’Arménien, le mont Ararat, bien qu’il soit désormais en territoire turc, symbolise sa patrie, sa fierté, son identité arménienne. Pas un seul Arménien n’est insensible à l’idée de revoir ses frontières englober cette majestueuse montagne volcanique aux sommets perpétuellement enneigés.

L’attachement à la terre natale ou à son environnement immédiat est fort, quasi inaltérable. D’où qu’ils viennent, qui qu’ils soient, les humains sont depuis toujours influencés, modelés, façonnés par leur milieu physique. Une partie de soi est forgée à même là d’où l’on vient. Cette relation intime entre le milieu naturel et la personne qui y habite représente, pour plusieurs environnementalistes, la planche de salut de la planète. Protéger ce que l’on aime. Veiller sur ce que l’on admire. Apprécier ce que l’on a, comme ça, gratuitement autour de soi.

Or la nature perd constamment du terrain. Le lien entre l’humain et son milieu naturel s’atténue. Manger les champignons qu’on a soi-même cueilli, faire griller une truite qui, quelques heures plus tôt, s’ébrouait dans les rapides du ruisseau derrière la maison, récolter trois chaudières de bleuets dans le brûlis au fond du rang sans débourser le moindre centime, tout cela relève désormais de la science-fiction pour une grande majorité.

Comment alors demeurer attaché à ce que l’on ne voit plus? Comment être ému par la disparition de telle espèce de poisson quand la survie de notre famille n’en dépend pas? Pourquoi se faire du sang d’encre avec l’abattage massif d’arbres anciens quand de sa vie, on n’a jamais vu un seul pauvre arbre ancien? Comment diable s’intéresser aux beautés de la nature au point de vouloir en protéger l’intégrité quand, dans plusieurs endroits, tout ce qui en reste repose sur les frêles épaules d’indésirables pigeons, de rivières brunâtres et de boisés jugés sans valeur?

Plus fort que toutes les technologies vertes réunies, plus béton que les meilleures campagnes de sensibilisation, l’attachement à ce que la nature est et offre (sans rien demander d’autre qu’on lui fiche la paix) donne la conviction qu’il faut prendre soin de ce joyau. Si la foi peut réellement déplacer les montagnes, déplaçons-nous donc d’abord avec respect vers elles, et vers ces forêts, ces ruisseaux, ces merveilles. Peut-être nous insuffleront-elles la foi suffisante pour qu’on redonne enfin, à la nature, les lettres de noblesse qui lui reviennent de droit.

2 commentaires:

a dit...

Malheureusement même lorsque la proximité y est la connaissance et l'intérêt n'y est pas toujours. Combien de gens en région passe leurs temps libres à chevaucher leur ski-doo (hyper polluant, malgré les transformations) ou VTT, à brûler leur champ juste parce qu'ils l'ont toujours fait et à jeter leurs vidanges dans la rivière parce qu'elles disparaissent plus vite comme ça? Par contre, il est vrai que plus on connaît cette nature (même de loin) plus on l'apprécie, plus on en comprend l'importance plus on veut la protéger.

Très bon texte chérie!

Élisou a dit...

Très bon point Wï. C'est vrai que les cons foisonnent même là où la nature est à son plus joli. Un savant mélange de proximité physique et de proximité mentale-affective avec la nature, c'est ce qui fait en sorte qu'on se soucie de sa protection.