Un train presque vide et pleinement matinal m’amène à Strasbourg. Je me suis extirpée du lit bien avant le chant du coq pour ne pas le louper. Dire que j’ai les deux yeux dans le même trou est un euphémisme.
Sur mes genoux, Docteur Jivago. Pas l’homme, le bouquin. Ce roman russe, étoffé à souhait, n’est pas spécialement réputé pour ses propriétés stimulantes.
A cette heure matinale, les péroraisons de Boris Pasternak réduisent vite à néant le peu de concentration dont je dispose. J’envoie valser le bon toubib dans ses campagnes de l’Oural et me mets à penser. Quand on a devant soi plus de quatre heures à divaguer sur les rails, les pensées, elles, déraillent.
Voilà qu’au fil des petites gares desservies (le TGV ne reliera Paris à la capitale alsacienne qu’en 2006), après avoir fait le décompte (rapide) du nombre de pantalons qui me font encore et des cadeaux (nombreux) qu’il me reste à acheter, mes réflexions se dirigent vers une question considérablement moins futile.
Quelque part entre Nancy et Sarrebourg, des bribes du cours d’Histoire de la langue française, suivi à l’automne 2001 avec un professeur friand de culture alsacienne, remontent.
En France, il y a de cela quelques bonnes décennies, on ne parlait pas que le français, y avais-je alors appris. Vous le saviez, vous ? A l’époque, ça m’avait un peu scié les pattes.
Chaque région du pays avait non seulement sa culture propre, mais aussi une langue bien distincte. Un patois, en fait.
D’un point de vue pratico-pratique, la multiplicité des patois utilisés ne rendaient pas les échanges interrégionaux nécessairement faciles. Le Marseillais et le Picard devaient en gesticuler une claque pour arriver à s’entendre.
Puis vint le jour où il fallut uniformiser. Pour des raisons administratives, les hautes instances sises à Paris décidèrent que tous les petits Français apprendraient, à l’école, une même langue : la leur. Le « bon » français.
Les mesures adoptées furent évidemment radicales. On raconte même que pour un mot de patois échappé, les coups de règles sur les doigts fusaient, et ne tardaient pas à rappeler à l’ordre les fautifs.
Or malgré ces mesures restrictives, qui furent apparemment efficaces, certains coins de la France ont mieux résisté que d’autres à l’uniformisation du langage.
Longtemps disputée entre la France et l’Allemagne, dont elle est la voisine immédiate, l’Alsace, qui toujours valsait entre le français et l’allemand, a gardé bien vivant son dialecte alsacien, encore parlé par une bonne part de ses habitants.
Ce qui fait que dans les rues de Strasbourg, on ne se sent plus tellement en France, mais dans un véritable îlot d’exotisme coincé entre les Vosges et le Rhin.
Dimanche soir, trajet en sens inverse, toujours avec l’ami Jivago. Je n’ai de pensées que pour les superbes maisons à colombages, garnies de boîtes à fleurs, qui longent les quais strasbourgeois. Pour l’époustouflante cathédrale, qui fut pendant des siècles la plus haute de toute la chrétienté. Pour le combo choucroute - Riesling aussi, englouti dans un resto rustique à souhait.
Le sourire béat du prof d’Histoire de la langue française, quand il nous racontait sa bien aimée Alsace, s’explique drôlement mieux maintenant.
Et Docteur Jivago attend toujours…
mardi 8 mai 2007
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